lundi, avril 02, 2007

le bonheur

Au bord du canal des Pangalanes, un village



Il est tôt et les gouttes de rosée, les dentelles de la nuit, le vacarme étouffé des oiseaux dans la jungle étaient encore là. Grâce aux efforts des poètes sans imagination l'aube pointait ses doigts d'argent sur la plaine verdoyante pendant que le carillon matinal et joyeux de l'Eglise de Saint Julien appelait les fidèles à la prière. Ceux ci se pressaient nombreux en ce jour, et la lumière naissante se glissant par les vitraux caressaient d'une ombre fraîche les joues des hommes humbles et des femmes encore plus humbles du village.

Comment, la lumière ne peut pas caresser d'une ombre fraîche ? Eh bien si, d'abord parce qu'il y a la jungle à Saint Julien, c'est donc que les choses ont changé – l'histoire se passe après la Grande Catastrophe Ecologique, pendant la fin du règne de Dominique Voynet III, ensuite il s'agit d'une licence poétique.

Là bas, les collines à l'est surgissent comme une croupe de jeune fille enspermée par le brouillard qui effiloche la vallée. On distingue l'entrée de la grotte, un plein cul où vit un ogre formidable qui a dévoré les petits enfants des alentours, après les avoir violés. C'est pour ça qu'ils sont si nombreux à l'Eglise (les humbles parents), sinon ils ne viennent plus comme s'en désolait l'Imam Al Coholo qui administrait la paroisse.
En ces temps troubles et troublés, prêtres et imams s'étaient partagés non les fidèles mais le territoire. Il y avait plus de l'un que des autres et il faut bien vivre. Le Dimanche c'était la messe, dite en latin d'imam, pas plus nul que l'arabe du curé de Saint Jars le vendredi, mais pas mieux non plus.
Au départ il y eut un défaut dans cette organisation car les imams pouvaient se reproduire mais les curés ne pouvaient pas. On avait donc assisté au déclin des uns, à l'ascension des autres ce qui ne manque pas de sel vu que l'ascension c'est un truc de curé. Rome avait réagi vigoureusement par la bulle papale "de vaginalis Deusque" ainsi que par une nouvelle iconographie représentant le Pape en érection (un peu magnifié je vous fais pas un dessin, c'était pour la bonne cause). Ce fut dur pour les pédophiles qui faisaient carrière là dedans mais il faut bien vivre. Quelques curésignés firent l'amour les yeux fermés – mais pas tous. Bon an malin, ils se reproduisirent. La légende dit que leurs enfants naissaient tout habillés Bibloran en main. La Bibloran, pour les ignorants, était un digest des meilleurs feuilles de la Bible et du Coran.

Donc l'ogre. Formidable, mais puisqu'une messe serait dite Dieu allait s'en mêler et on allait voir ce qu'on allait voir. D'autant plus intense était la ferveur qu'on était en début de carêmadan, ramadan le jour et carême la nuit pendant quarante jours. Ca aiguise la foi, gravement.

Ils étaient tous là, ils priaient, ils attendaient la mort de l'ogre, ignorants que celui-ci, sorti de son trouduc de la vallée s'en était venu au village chercher d'autres enfants à violer et à manger. Si possibles des petits très tendres qui crient bien fort pendant.

Donc l'ogre errait dans les rues vides d'hommes et de femmes, seule la maréchaussée veillant à la paix relative du village. Au moment du "Dominus Extra minimorum sed maximorum butterfly" alors que l'imam levait les yeux au ciel en un beau geste d'adoration qui rassemblait ses longs cheveux en arrière ce qui, il le savait, faisait craquer les femmes de la région et d'au delà, à ce moment là on entendit des cris, des alarmes, des bruits de bottes, un hurlement, trois coups de feu, non pas en série mais en même temps, puis la voix du Maréchal des logis chef hurler "halte ou je tire".
C'était à cause de l'ogre. Il avait dans les bras deux enfants roses.
De la foule effrayée, excitée sortie de l'église, cris de haine et bras d'honneur puis les bruits s'apaisèrent lentement.

La scène était Léonesque – de Sergio Leone – face à face entre le Maréchal des Logis Chef armé de son colt réglementaire à cinq coups (par mesure d'économies de l'Administration) et l'ogre armé des deux enfants. La Loi et l'Ordre versus l'Anarchie, l'un des deux est de trop. Au cinéma c'est un peu long mais la victoire du premier ne fait pas de doutes. Mais ici ?
Silence, hormis le chant des pélicans indifférents au drame qui se noue.
Ici aussi. Je veux dire, ce fut un peu long, mais dans le grand silence hormis le chant des pélicans, force resta à la Loi, à l'Ordre et à la Maréchaussée.

Fin de l'histoire, il n'y a pas de morale.
Durée pour écrire ce texte, environ 17 minutes. Il est temps de faire autre chose. Mais je vous aime bien et puisque vous êtes arrivés à la fin sans morale, je vais vous en écrire une : "le calme revint dans le village, ils furent heureux comme on peut l'être quand il n'y a plus d'ogre dans les collines".
Voilà, maintenant c'est fini.
Bises.

Ah, quand même, j'apprends qu'un colloque se réunit aujourd'hui pour étudier les critères quantitatifs du bonheur et quelles conséquences pour les pouvoirs publics ? ben quand y'a plus d'ogres, y'a du bonheur (cf la morale de mon histoire).
Question, c'est qui les ogres ? Les fonds de pension, les actionnaires rapaces ? ou les racailles de la banlieue, immigrés et même pas contents de leur sort ? les fachos de tous poils ? Les SDF, les pauvres, les exclus qui se fâcheront bien un jour couteau entre les dents ? les étrangers, tous les étrangers, eux aussi un jour ils en auront marre d'être étrangers ?
C'est qui, les ogres ?

il n'y a pas d'ogres à Madagascar

1 commentaire:

Fabrice a dit…

les ogres, ce sont ces monstres immatérialisés qui tirent des ficelles qui vont finir par leur échapper ... enfin ... j'espère