mercredi, août 03, 2011

Une bouteille d'or pur dans le lagon de Venise



Le changement dans la continuité


Depuis la décision du gouvernement lors du dernier conseil des Ministres, il n' y avait plus qu'un mois de 365 ou 366 jours, selon les années. Celles-ci allaient du 1er Janvier (la continuité) jusqu'au 365 Janvier (le changement). Cela avait plu au peuple qui aimait l'audace et l'innovation.
Les économistes avaient remarqué qu'on économisait ainsi 11 noms de mois qui ne servaient plus et qu'on pourrait donc réutiliser utilement ailleurs pour stimuler la croissance. Encore fallait-il le faire au moment opportun et le débat fit rage entre les écoles libérales et les écoles socialistes. Les premiers tenaient qu'il fallait le faire tout de suite et lentement, les seconds pensaient qu'il fallait attendre mais le faire massivement.

Les économistes des deux écoles se rencontrèrent en champ clos le 112 Janvier 2027. Ce sont les libéraux qui gagnèrent parce qu'ils utilisèrent tous les coups bas interdits. Les économistes socialistes moururent avec honneur, mais les couilles écrasées.
Les libéraux en profitèrent pour supprimer mention des quantième d'années, remplacés par "cette année", "avant cette année" et "après cette année". Il y eut bien des protestations de quelques professeurs d'histoire, tous socialistes, à qui on coupa les crédits et les heures mais pas les couilles, ils n'en avaient pas. De toutes façons ce n'était pas grave, l'histoire ne sert à rien.

Après l'économie énorme réalisée de ces plus de 2000 numéros d'années, les bourses internationales s'émerveillèrent, montèrent à crever des plafonds qui pour être virtuels n'en étaient pas moins impressionnants. Et ne montèrent pas que les bourses, puisque lorsque les bourses montent, les queues suivent inévitablement, le peuple se précipitant aux entrées de banques pour savoir quoi faire de cet afflux d'argent que la montée des bourses avait provoqué. Chacun était devenu riche et voulait l'être plus encore.

Un économiste allemand, libéral (il n'y avait plus que des économistes libéraux) proposa de mettre aux enchères la propriété des numéros d'années abandonnés, enchères mondiales qui auraient lieu le 363 Janvier de après cette année, à 15heures, au siège de l'ONU. L'idée était bonne, aussi cette journée fut déclarée mondialement fériée, à la suite de quoi on supprima les décomptes d'heures au profit de "ce matin", "cet après midi" et "ce soir et après", soit une nouvelle économie considérable. Les bourses grimpèrent encore, et encore, et encore. Et encore.

On lubrifia l'entrée des banques afin de faciliter l'entrée et la sortie des queues de clients qui grossissaient et s'allongeaient terriblement malgré l'emploi massif de internet. Le peuple aimait promener un regard de quasi propriétaire sur ses banques, montrer sa nouvelle opulence, parler à voix feutrée de milliers d'Eurodollars, de millions, de milliards… On disait "un Giga" ou "un Téra" pour un million ou un milliard d'Eurodollars.

Devant cet étonnant, ce bouleversant succès, on décida de multiplier les économies. Il y eut un seul corps de fonctionnaires qu'on appela "fonctionnaires". Fin des "professeurs", "policiers", "administrateurs", "infirmiers" etc… j'en oublie pardonnez-moi "éboueurs", "militaires", "juges" …
On supprima dans le même geste tous les nombres au-delà de dix. Il y eut "un", "deux", "trois" … "dix", "beaucoup", "beaucoup beaucoup", "encore plus", "giga" et "téra".

Les économistes discutèrent beaucoup beaucoup de jours sur l'introduction de "gigatéra", mais ce fut refusé par cinq voix pour et beaucoup contre.
A ce moment là les bourses explosèrent. Et les queues éjaculèrent. Littéralement, elles éjaculèrent, répandant dans les banques un flot de billets, d'ordres d'achat et de ventes, de retraits, de placements, de spéculations, d'interjections, d'exclamations, d'offres de couverture et d'effets levier. Il y eut des évanouissements, des morts subites, des cris exaltés, des "Jésus, Marie !!!", des professeurs d'histoire qui se convertirent au libéralisme sur le champ. Tant et tant d'événements improbables que les journaux télévisés du soir et après firent leur une au détriment de nouvelles importantes comme le foot, le foot, Roland Garros, le foot, Roland Garros et le foot. C'est dire le "vrai tsunami social" (depuis avant cette année, rien n'intéressait le peuple qui ne fut un "vrai tsunami social". Les faux tsunami, les vrais ouragans, voire cyclones n'intéressaient personne, hormis quelques professeurs d'histoire au chômage dont on n'avait rien à faire, l'histoire ça sert à rien).
Mais là on avait, on tenait un "vrai tsunami", un vrai de vrai.

Puis, les foules s'étant épuisées, les queues diminuèrent de volume, diminuèrent de longueur, et elles quittèrent les banques. Les bourses, calmées, se stabilisèrent avant lentement de retomber vers leur niveau d'origine. On cessa de lubrifier l'entrée des banques et on fit comme avant.

Ce fut après cette année là que Lionel Jospin fut élu Président.





J'ai hésité entre rire et pleurs il y quelques semaines en écoutant l'intense "bataille politique" de 73 députés de la majorité défendant "la liberté" et luttant pour cela pied à pied pour conserver la présignalisation des radars sur la route.
Voilà un noble combat pour nos valeurs. Quelle gloire ! que d'avoir des élus capables de monter au combat pour une juste cause, de se rassembler, d'argumenter, de menacer, peut-être même de mourir… non, faut pas exagérer, pas mourir. Aucun autre pays ne peut se vanter d'élire d'aussi nobles élus.
Nous perdrons encore une fois la prochaine guerre, certes, mais quel panache nous montrons!

Ah, au fait, dans le budget, diminution de 30% des aides au plus démunis, rien à voir je sais.