samedi, novembre 06, 2010

CHRONIQUES DE L'HOPITAL



Dimanche 7h00 du matin Aéroport Charles de Gaulle

A l'intérieur c'est grand comme une ville. De milliers de personnes vont et viennent.
Des voyageurs vont, seuls, en famille ou en groupe.
des personnels en uniforme viennent, seuls ou en groupe.
Ds militaires armés vont, des policiers viennent, des douaniers, des porteurs, des taxis, des hommes, des femmes, des grands, des petits, des blancs, des noirs...
Les haut parleurs disent d'une voix douce "Papeete", "Los Angeles", "Bangalore".

Ici chacun a quelque chose à faire, en tout cas chacun fait quelque chose.
Une des larges portes qui donnent sur le dehors s'ouvre en coulissant. Entre un homme vêtu d'une chemise de nuit orange jusqu'au milieu de ses maigres mollets, de chaussons bleus et de gants gris en laine.Il est imberbe, il a le visage ridé et d'immenses yeux bleus ébahis.
Il frissonne de froid et frappe ses mains l'une contre l'autre.. Puis il sourit et avance lentement sur le marbre du gigantesque hall.
Au milieu des gens qui vont et des gens qui viennent, lui, il est arrivé.


7H30
Un faux bar de ville au milieu du hall. Trois tables sont occupées, c'est l'heure du petit déjeuner.
Au comptoir, un homme dans la quarantaine, élégant, mince, boit un café. Il ressemble à Dominique de Villepin, encore plus mince.
Il a des cheveux gris mi-longs, permanentés, soignés. Il ne cesse de se regarder dans la glace du comptoir, il se lisse les cheveux avec les deux mains, se regarde encore puis adresse la parole à la serveuse du bar et au gros serveur dans la salle. Un long discours ponctué de lissages de cheveux, de regards dans la glace. Les serveurs font "oui", "oui", "ah!", "oui".

Après plusieurs minutes, l'homme interrompt son discours, se regarde dans la glace, lisse ses cheveux, prend son manteau et son cartable et s'en va. Lorsqu'il s'est éloigné, le gros serveur dit "Quel con !".

7h45
Je vois un enfant brun tenant la main de son père. Je me rappelle que dans deux jours, je serai à l'hôpital.



HOPITAL 1
(Toujours aussi redoutable page blanche) d'autant que je n'ai pas d'ordi sous la main. J'écris "à la main".
Ecrire... Il y a quelques années j'écrivais beaucoup de petites choses. Puis après avoir essayé sans succès d'en écrire une grande, j'ai recommencé les petites choses mais il y en a eu très peu. L'envie et le plaisir n'étaient plus là.
Alors, "peu" a laissé peu à peu la place à "rien". Ou presque rien, à part mes incursions sur le blog. Le plaisir n'était plus là. Il était là quand les pages s'écrivaient toutes seules, sous l'émotion agissante, présente. Plaisir lorsque je découvrais le texte achevé (découverte puisque je ne savais jamais en écrivant un mot quel serait le suivant). Un plaisir qui n'était pas quelque chose de palpable mais à la fois un plein et un vide.
Faut pas chercher à comprendre, vide d'avoir lâché quelque chose, plein de l'avoir lâché. Faut pas chercher à comprendre.

Maintenant j'ai du temps disponible, haché et morcelé puisque c'est le rythme de l'hôpital. Que faire de ce temps en morceaux, puisque je ne puis qu'attendre ? Moi qui ai cru tant de choses ces dernières années, "des choses".
Par exemple que je serai toujours jeune, éternellement. C'est con, je sais que pour ça il faut rencontrer le Diable et faire un pacte. Or, je n'ai rencontré ni le Diable ni son complice, Dieu.
Du coup je suis nu, à l'hôpital (dela fenêtre je ne vois pas la mer, mais Marseille et au delà les collines du massif de l'Etoile)

Oui j'ai cru que je ne vieillirai jamais. Bien sur les enfants ont grandi, bien sur je suis grand père, bien sur mes parents sont devenus très vieux. Mais enfin, cela concernait les autres, pas moi.

Hôpital, je pourrai en profiter pour "sortir de mon corps", d'une manière que j'ignore, ne pas être concerné. Je me dis aussi à d'autres moments que ce doit être une bonne occasion de devenir adulte, occasion que je ferai bien de saisir. D'un côté le fantasme de m'évanouir, de l'autre celui de tout contrôler. Ma tête travaille...

Pourtant l'envie qu'il y a dans mon ventre, c'est accepter. Ouh là le mot new age ! Oh le joli mot que chacun il sait ce que ça veut dire et que même il y a des milliers de livres qui expliquent comment il faut faire (on m'en a même offert un d'ailleurs).
Mais comment on fait, comment je fais ?

Je ne fais rien. Je n'essaye pas de faire, de gagner quoi que ce soit ou de dépasser quelque chose. Rien, ça veut dire ne rien laisser et ne rien prendre.


Ce matin au réveil je bandais. Un bon moyen d'attendre, frustrant mais rassurant.
Un autre moyen d'attendre, écrire les deux premiers mots qui me viennent en tête. Train et autoroute. Tiens, ce sont des mots de fuite.
Encore un autre moyen : devenir végétal, mais attentif.
Ce que j'aimerais par dessus tout, c'est danser.


HOPITAL 2

Il y a un très long couloir, peut-être 100 mètres de sol luisant et sombre. Des petits espaces latéraux avec quelques chaises en acier et une table basse en plastique. Ce sont les lieux de convivialité et ils sont vides.

Marseille a gagné un match de foot par 7 buts à 0, et à six heures pile, prise de sang. Obama battu aux élections de mi mandat et à 9heures, écho Doppler. Hu Jintao en visite à Paris et à 10heures, je descends à la cafétéria manger une part de tarte aux pommes.
J'en profite pour acheter Libé au kiosque.
Libé parle de foot, de Obama, de Hu Jintao.
Heureusement, je suis là pour donner la vraie info.



HOPITAL 3

Maintenant il fait nuit. Dix étages plus bas le Boulevard Sakakini bourdonne et la Ville allume des millions de lumières fragiles et tremblantes.
Plus brutalement que le jour, la nuit souligne qu'il y a un dehors et un dedans et la fifférenceentre ceux qui sont dehors et ceux qui sont dedans. Mais cela ne concerne que les humains. Et les humains, ils passent seulement. Et tous sont dans la Ville, qui est plus grande, plus forte. La Ville reste et restera.

Pourtant elle est un bourdonnement et des lumières fragiles.


HOPITAL 4

Quand j'étais gosse, nous avions l'habitude à la question "Pourquoi.....?" de répondre ".. Pourquoi pas ?" et j'éprouvais alors un sentiment de puissance, clouer le bec à quelqu'un mais aussi j'en devenais un peu mieux convaincu que "pourquoi pas...?".
Pourquoi pas, puisqu'il faut bien faire quelque chose. Parce que ne rien faire c'est mal, c'est ne pas être acteur de sa vie. Parce que ce n'est pas une attitude virile. Alors tant qu'à faire, "pourquoi pas...?"

Sentiment de puissance, mais vain.
Ne pas faire est difficile (d'abord parce que ce n'et pas héroïque).
Etre là où je dois être plutôt que là où je veux être. Comme je dois être plutôt que comme je veux être.
Où ? Ici. Comment ? Comme ça.
Comme en zazen, immobile, silencieux, relâchant les tensions, gardant seulement celles qui sont utiles pour rester droit.

Peur et envie, la Voie du Milieu n'est pas "entre les deux" mais "avec les deux" puisque j'ai peur, puisque j'ai envie.
Entre les deux, avec les deux... Pourquoi pas ?