jeudi, juin 14, 2007

face à face





Elle et lui, face à face.
"Ce matin là, l'horloge s'est arrêtée".
Le tic-tac interrompu impose un silence dont il n'a pas envie et il voit son visage chiffonné face à lui, visage qui le fixe. Il connaît cette intensité là, cette fureur, il sait qu'elle ne cèdera pas facilement. Dans le silence d'habitude il compte les coups d'horloge, 1 tic, 1 tac, 2 tic, 2 tac puis il passe à un grand nombre par exemple 22 tic, 22 tac et redescend 21, 20 jusqu'à 3 tic, 3 tac et il redémarre à 23. Cette gymnastique mentale l'occupe entièrement jusqu'à ce qu'elle se lasse. Après, il garde un goût amer dans la bouche.
D'habitude.
Ce matin le silence, l'horloge est arrêtée. A t-elle deviné son stratagème, il ne sait pas. Elle avance d'un pas vers lui, un deuxième, elle a déjà posé sa question et se tait, elle attend une réponse. Les voilà tous les deux englués dans l'épaisseur de l'attente; ils sont paralysés et le temps est figé.
Il aimerait dire des mots, faire un geste, il essaye "mais tu sais bien …" c'est un effort ces mots là. Il voit bien ceux qu'elle attend, ce sont ceux qu'il aimerait dire, les mêmes exactement. Mais le silence lui entre dans la bouche, l'étouffe comme une nourriture trop riche. Il est gonflé de silence. Alors il compte dans sa tête "1 tic, 1 tac …" et il ne sait plus, pris d'assaut par le vert trop vert du fauteuil et son pull rouge à elle et son visage chiffonné tout près de lui. Il va tendre le bras, toucher ses épaules, dire les mots qu'ils espèrent tous les deux. Mais le silence ! son regard se fixe sur le balancier qui ne balance pas, il imagine les reflets que ferait la lumière si … si l'horloge battait et puis brusquement elle est là, visage qui pleure, qui pleure presque, le bleu de ses yeux dans le brun de lui. Il va dire, il va dire un mot parce qu'il est là, dans sa poitrine gonflée, dans sa gorge, le mot lutte, lutte contre le silence et le cerveau hurle "vas y !!!… et 12 tic et 12 tac et …" et quelque chose se perd, le mot se perd, langue morte.
Il détourne le regard, mais devant, mais derrière mais sur les côtés, en haut et en bas le silence fait mal. Il a mal à lui, dans tout lui, pas de rage, c'est l'impuissance. Il ne sent pas la main qu'elle a posée sur son bras, il n'entend pas qu'elle dit "alors" sans point d'interrogation, elle dit "alors". Lui il est partout en lutte avec son silence, son immobilité, il veut seulement que le balancier de l'horloge balance, qu'il tique et qu'il taque encore, encore, toujours.
Il va vers l'horloge, il ouvre le coffre et remet le balancier en branle, ça fait tic, ça fait tac, tic, tac et ça continue.
Et au dedans de lui quelque chose se dénoue, se détache, tombe par terre, en faisant "platchh" pas très fort mais assez pour vaincre le silence.
Alors il se retourne.

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