Il y avait un quartier à Marseille, proche de la gare Saint Charles. Je ne me rappelle plus son nom, "îlot Dubois" je crois.
Le quartier avait été promis à la démolition et vidé de ses habitants. Puis des pelleteuses et des bulldozers avaient commencé leur travail, avant qu'une grève, ou un défaut de financement ou une difficulté administrative n'interrompe les travaux quelque temps.
Le quartier n'avait pas été clôturé, il était possible de s'y promener. Au milieu de l'étrange silence qui y régnait je m'y aventurais un dimanche matin, un matin d'automne sous un ciel nuageux.
Ce fut un moment suspendu dans l'éternité, passé et présent mêlés. On pouvait voir dans les maisons éventrées la trace des anciens occupants.
Un immeuble de deux ou trois étages avait perdu sa façade. Devant lui une pelleteuse semblait un gros insecte endormi, paisible. On y voyait une salle de bains encore intacte, ou presque, le lavabo antique, la baignoire avec des pieds tordus et un bidet. Les murs étaient peints en vert.
Un peu plus loin, ou un autre étage, un salon vide de meubles avec un papier peint écaillé à motif de fleurs rouges sur un fond jaune paille, une porte percée et déformée ouverte vers on ne sait où, on ne sait qui.
C'était un quartier populaire. Une façade encore debout indiquait fièrement "HOTEL DU SIECLE" et un panonceau informait que l'on pouvait louer des chambres "à partir de 10 Francs".
Au début de la rue, un bâtiment entièrement détruit laissait un espace qui paraissait étrangement vide. Il en restait un tas de gravats, qui résumait les générations y ayant vécu.
J'ai pris des photos de cet îlot, que je ne retrouve plus. Je découvris plus tard qu'un collectif d'architecte en avait dressé une élévation complète. Les bâtiments étaient restitués dans leur beauté initiale. Ils avaient été beaux ! puis au fil des décennies ils s'étaient dégradés et le quartier avait accueilli les passagers impécunieux arrivant à Marseille, par la gare et par le port, venant des colonies. 10 Francs la chambre !
Voilà ce qui reste d'un square où se sont installées les baraques de chantier, voilà un immeuble éventré montrant ses tripes comme une femme ou un homme nu qui se montre sans pudeur. Et là bas c'est un petit tas de gravats en partance pour la décharge.
Mon enfance aurait pu s'y dérouler, dans des appartements semblables, avec des papiers peints semblables et les mêmes salles de bains.
Le silence permet d'entendre quelques voix assourdies venues du passé
"-Abdel, tu me prêtes ton vélo?"
"- Eh bien, y'a dégun? ils sont partis ?"
"- Oh madame ! c'est pas cher, tenez..."
"-...ton ballon... on va au square..."
Depuis le quartier a été réhabilité avec une bibliothèque universitaire, des bureaux. Des logements peut-être. Je n'y suis jamais retourné, ce serait trahir ceux qui y ont vécu, même une seule nuit, ceux qui s'y sont aimés, ceux qui y sont morts.
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