lundi, janvier 31, 2011

La Très Véridique Histoire des Fretay...






la Très véridiK Ystoire du fretay, racontée par Loïc Le Floch' mêmement que lui a dit son grand père Yann, journaliste.



A l'origine il n'y avait rien qu'un souffle d'air jaune paille, un vague tourbillon de vapeur qui faisait trembler les feuilles du petit acacia dans le jardin de curé d'un village abandonné.
Dans le jardin il y avait un muret de pierres sèches, un oratoire et son Jésus crucifié, un potager vaincu par les herbes folles et l'acacia. Le curé était mort depuis longtemps; le souffle d'air jaune paille restait là, occupé à faire doucement trembler les feuilles de l'acacia.
Un couple s'aima un jour dans le jardin, secrètement. Les mots qu'ils échangèrent étaient emplis d'amour et de désirs et ces mots et ces désirs donnèrent vie; en effet le souffle d'air jaune paille devint quelque chose, une infimement petite chose posée ahurie au pied du crucifix.
Il vint un autre jour, d'hiver celui-ci, où un vagabond transi de froid insulta le crucifix - " eh toi là haut, tu vois pas que moi aussi je crève… Et puis toi tu l'as connue ta mère, hein… de quoi tu te plains… "
La petite chose, on ne sait comment entendit ces mots et elle grossit un peu.
Les jours passèrent sans dire où ils allaient, mais ils passèrent. Des femmes et des hommes aussi passèrent. Une vieille femme pour prier et la chose grossit; des enfants pour jouer et la chose grossit encore, puis une maman fatiguée avec un enfant et un chien et puis encore d'autres.
Comme à chaque mot que l'on prononçait devant elle, la chose grossissait un peu, on finit par la remarquer.
Celui qui la vit pour la première fois s'approcha intrigué. Une boule un peu ronde, jaune irrégulière, le corps couvert d'un duvet d'aspect très doux mais avec une bouche aux petites dents pointues, une bouche goulue.
La maréchaussée alertée se rendit sur les lieux, représentée par un brigadier (digne et moustachu) et son adjoint (moustachu).
La chose était là, certes, mais il fut impossible de l'approcher. Elle roulait ici, roulait là, toujours hors d'atteinte du chef et de l'adjoint. La chasse dura une heure et aucun des deux gendarmes ne remarqua que la chose-boule avait encore un peu enflé.
Le fait est, pourtant, qu'après leur départ elle avait atteint la taille d'un petit ballon.
Le lendemain revinrent les gendarmes , accompagnés de deux chasseurs et leurs chiens; et de Yann Le Floch', le correspondant local du journal local chargé des informations locales à diffusion locale. Il faut dire que Yann Le Floch' était du coin.
Ce fut lui qui remarqua qu'au bout d'un temps respectablement long et d'un nombre de mots tout aussi respectable, la chose avait grandi. Elle atteignait la taille d'un beau ballon de football, mais un ballon aux dents pointus qui avait mordu l'un des chasseurs et son chien. Les deux étaient retournés chez eux, lasse la tête et basse la queue.
Le village abandonné s'appelant Fretay, Le Floch' baptisa donc la chose ainsi, le fretay.
On tenta mille manières de le capturer, sans succès; surtout, le fretay devenait à chaque fois plus gros, plus dentu, plus méchant. Vint un jour où il atteignit la taille d'une grosse voiture, en plus des dents.
Pour l'attraper on fit appel :
à un capitaine de gendarmerie,
puis à un colonel ,
et puis un général. Rien n'y fit. On fit appel à l'armée mais le fretay dévora un maréchal sans victoires, ses décorations et aussi le képi.
Il était maintenant de la taille d'un camion, de plus en plus dentu, de plus en plus velu, de plus en plus dodu. On invoqua le secours des personnes les plus savantes de la Nation, universitaires, cryptozoologues, alchimistes, marchands de chaussures, philosophes même ! Rien n'y fit.
On organisa des cérémonies, on tenta des exorcismes; on supplia le Professeur Diop qui pratiquait la magie Fanfala à Paris XIXè de grigriter le fretay.
Tout cela non plus n'y fit rien. Au contraire.
Le fretay prospérant atteignit la taille d'un trois pièces cuisine.
On décida alors de frapper un grand coup, un coup vraiment grand ! et l'on invita le Président du Sénat qui était à cette époque, déjà vieux, très gros et très lent. Il fit un discours de plusieurs heures, de plusieurs jours. Etant Président du Sénat, il n'avait rien à dire, aucune idée, aucune émotion, aucun sentiment. Mais il parlait.
Il parlait et le fretay grossissait, il parlait et le fretay grossissait, grossissait, passant du trois pièces au quatre pièces, au cinq pièces, au cinq pièces en duplex avec garage, toujours dentu, velu, dodu.
Qui comprit le premier que la chose se nourrissait de mots? On ne le sait pas mais peu à peu, mot après mot cela devint évident.
Vinrent alors au village les femmes et les hommes qui aimaient parler, tous les amoureux amants des mots. Ils dirent les innombrables mots qui n'avaient pas encore été dits, énoncèrent des poèmes neufs, lyriques, magiques, sataniques, inventèrent des chants et des secrets d'amants.
Dans toutes les langues.
Sur tous les tons.
De toutes les manières.
Ils inventèrent des mots, ils en déterrèrent d'oubliés.
Et à les entendre le fretay grossit en prenant un aspect duveteux et doux. Ses dents avaient disparu, il émettait une sorte de ronronnement serein presque permanent.
Lorsqu'il eût légèrement dépassé la taille d'un immeuble d'assurances il cessa de grossir.
Et

un matin
il disparut. Il était là et puis il n'y était plus.

Ce même matin mon arrière grand père naquit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

se nourrir de mots pour exister...la vie, en somme !