Le matin je m'habillais et je partais au goulot. Le gosier sec mais pas pour longtemps, au premier bar je retrouvais mes amis, ivrognes en service. Nous buvions avec acharnement en récitant les verres des plus fameux poètivres, nous tournions les pages de leurs livresses, nous les additionnions, les multipliions jusqu'à ce qu'elles deviennent assez immenses pour atteindre la grandivrognerie. Mais nous nous divisions lorsque le patron sortait son vire-bouchon et qu'il fallait partir.
Nos amitiés poivrotes ne résistaient pas au dehors. Nous fuyions ici ou là, moi je cherchais un autre comptoir ou j'essayais de suivre une vague silhouette titubouteillant vers un ailleurs problématique. A la première porte, première odeur de vin, j'entrais. Je n'avais plus d'argent bien sûr mais je jurais que si :
"Croix de bois, Croix de fer, Si j'mens j'bois encore un verre". Quelqu'un finissait toujours par m'offrir un verre, ou deux et je me fondais parmi ceux là qui ne boivent pas, pas trop, qui travaillent, qui ont de l'argent et même qu'ils payent des impôpulaires.
De bar en bar les sons s'enchoquaient et les couleurs s'emmêlaient; je me kaléïdoscopais en blanc, en bleu et en vert de rouge. Les visages se décomposaient comme le faisait Picasso, dans sa période Cubi. Je buvais.
Jusqu'à la nuit.
Jusqu'à ce que je rentre chez moi où elle n'était plus. J'entendais pourtant encore des traces de sa présence, des battements d'Elle.
Quand on aime on est toujours fragile; quand on aime on a toujours du temps pour le vin. Il me restait d'une période faste dont j'avais tout oublié quelques bouteilles rouge merveille que j'entonnais à tire larigosier, elles étaient trompettes liquides.
Puis comme j'avais peur de mon lit vide je dormais sur le canacépage du salon où mes orgies n'étaient jamais lumineuses.
Et le temps a passé, mes souvenirs ont foulecampé emportant ce que je croyais important et me laissant des choses inutiles dont je ne sais que faire. Comme son souvenir.
Au pays des couleurs